LA GAZETTE DU CLUB DES MONSTRES |
NUMÉRO 9
UN MAGICIEN DU CINÉMA S'EN EST ALLÉ
par
Jean-François Berreville
Je viens d'apprendre non sans une certaine émotion le décès avant-hier, dimanche 15 juin 2008, de Stan WINSTON, un des plus grands noms des effets spéciaux, dont on a appris qu'il se battait depuis sept ans contre un cancer de la moelle des os. Tranquille père de famille, Stan WINSTON était aussi un des artistes les plus talentueux et innovants. Ayant appris le maquillage dans les studios DISNEY, il établit rapidement son atelier, qui ne cessa de croître, devenant une véritable entreprise. Après avoir débuté à la télévision, sachant tirer le meilleur parti d'un budget modique ( les transformations de la série MANIMAL ), il s'imposa au cinéma en même temps que les Rick BAKER ( LE LOUP-GAROU DE LONDRES, GORILLES DANS LA BRUME ) et Rob BOTTIN ( TOTAL RECALL ), génération dont le vétéran du maquillage Dick SMITH ne manquait pas de souligner l' inventivité. Généreux, Stan WINSTON insista pour que son nom n'apparaisse que marginalement dans le chef-d'oeuvre du cinéma d'épouvante et de science-fiction THE THING, afin de ne pas éclipser celui de Rob BOTTIN qui était crédité du projet et qui, victime du surmenage, ne pouvait plus faire face à la charge considérable de travail malgré ses nombreux assistants. Stan WINSTON n'hésitait pas, un peu à la manière du marionnettiste Jim HENSON, créateur du MUPPETT SHOW disparu très précocement ( qui, dans THE DARK CRYSTAL, avait notamment créé les Échassiers du vent à partir d'acrobates juchés à quatre pattes sur des échasses ), à employer les moyens les plus artisanaux pour dissimuler la morphologie humaine, avec une réussite stupéfiante : le chien glabre de THE THING n'était qu'une marionnette à main, les extraterrestres patauds de L'INVASION VIENT DE MARS étaient interprétés par des géants portant sur eux un nain harnaché dans le sens inverse, et la Reine d'ALIENS était jouée par un animateur suspendu dont les mains tenaient des membres griffus au bout de baguettes. Pourtant, à l'époque de la surenchère techno-idéologique, ces animations que les modernistes à tout crin jugeraient aujourd'hui sommaires n'ont rien perdu de leur pouvoir à terrifier les spectateurs, et leur réalisme tenait justement à ce qu'un être humain les animait.
Comme le Britannique Christopher TUCKER ( maquillages de LA GUERRE DU FEU et de THE ELEPHANT MAN ) qui s'était rêvé initialement chanteur d'opéra, Stan WINSTON n'avait au départ considéré le maquillage que comme une première étape, souhaitant devenir acteur, ce qui n'arriva pas. Mais son goût de mettre en scène des personnages le poussa à passer à la réalisation avec un petit budget ( PUMPINKHEAD ). Alors que d'autres maquilleurs comme Rob BOTTIN et Chris WALAS ( LA MOUCHE ) se résignèrent à opter pour des maquillages plus conventionnels ( des cicatrices dans MISSION IMPOSSIBLE pour le premier, par exemple ) en réaction à la concurrence défavorable engendrée par la situation hégémonique des images générées par ordinateur malgrè le caractère irréel de celles-là, Stan WINSTON tenta pendant des années de contrer le recours à la facilité de la création numérique en poursuivant dans la voie des maquillages spéciaux et des effets mécaniques, ce qui ne l'empêchait pas de tirer le meilleur parti des innovations technologiques avec ses animatroniques: les médias dominants ont fait accroire au nom de la pensée unique et réductrice que les dinosaures de JURASSIC PARK étaient réalisés en images de synthèse, alors que ceux qui terrifient ou fascinent le plus les spectateurs, ignorants de la vérité, sont en fait les animaux grandeurs nature conçus par Stan WINSTON, avec leur machinerie sophistiquée ( l'incroyable tricératops malade avec sa respiration difficile n'a rien à envier quant au réalisme aux reptiles des véritables documentaires animaliers, de même que le bébé tyrannosaure de la suite, animé depuis le dessous de la table ). Stan WINSTON avait récemment produit une série de petits films sans prétention, afin que des oeuvres sans effets spéciaux contrefaits par les ordinateurs puissent encore exister, rendant ainsi hommage aux vrais amateurs de cinéma rétifs aux productions qui ne sont plus que des pastiches de jeux vidéos.
Par ailleurs, ce qui aurait sans doute déplu au philosophe Alain FINKIELKRAUT dans son désir, non illégitime il est vrai, d'établir des hiérarchies culturelles, Stan WINSTON, comme le compositeur Jerry GOLDSMITH, refusait de verser dans un certain snobisme en établissant une opposition entre les oeuvres "nobles" et les productions commerciales, estimant que tout projet pouvait porter en lui son intérêt si la qualité était au rendez-vous ( on sait que depuis toujours, au sein par exemple de la littérature de science-fiction, notamment française, des oeuvres sont discréditées non pas tant en raison d'un manque d'invention ou de talent que parce qu'elles ne paraissent que dans des collection réputées "de gare", et après tout, les oeuvres du Quattrocento et des peintres flamands étaient souvent à l'origine de simples oeuvres de commande et autres portraits complaisants pour servir au prestige du commanditaire. Le cinéma, art contemporain, a produit les équivalents modernes des Michel-Ange et autres RODIN, dont un perfectionniste comme Stan WINSTON était un digne héritier, en dépit du mépris habituel témoigné par les élites auto-proclamées pour les oeuvres d'imagination. Contrairement à Jerry GOLDSMITH, totalement et lamentablement ignoré, notamment en France, lors de sa disparition, dont la réputation est cependant promise à un bel avenir ( on voit ainsi se multiplier les hommages sur You tube et un site français s'est créé pour honorer sa mémoire ), Stan WINSTON avait eu la chance de connaître une vraie consécration par les professionnels, avec l'obtention de plusieurs Oscars et son inscription sur le "Hall of fame" d'Hollywood Boulevard.
Stan WINSTON faisait rêver nombre de ceux qui aimeraient exercer un métier créatif, mais le degré d'achèvement de ses créations et de ses compétences techniques pouvait finalement impressionner ceux qui auraient aspiré à suivre son exemple. Même si le caractère artisanal avait fini par disparaître, en raison du succès des studios Winston devenus une véritable entreprise, il a permis à une nouvelle génération de se former et de viser l'excellence, comme Alec GILLIS et Tom WOODRUFF ( ALIEN 4, TREMORS ). Après le compositeur Jerry GOLDSMITH qui avait donné une âme à tellement de films, un autre géant du cinéma contemporain quitte la scène vaincu par le cancer. C'est définitivement un certain genre de cinéma qui achève de disparaître. Comme les années 1980 paraissent loin à présent que sont partis deux des plus grands noms qui faisaient la quintessence de l'imaginaire de la décennie. Ils n'ont peut-être, à leur niveau qui est celui du "divertissement", pas changé le monde, mais ils l'ont rendu plus supportable. Ceux chez qui le monde actuel n'est pas parvenu à éteindre complètement la capacité d'émerveillement de l'enfance savent ce qu'ils leur doivent et ne sont sûrement pas prêts de les oublier. Jean-François Berreville voir le blog de Jean-François Berreville creatures-imagination.blogspot.com |
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