LA GAZETTE DU CLUB DES MONSTRES

NUMÉRO 5

Desperado sanguinaire ou chevalier  romantique ? ...
L'éternel retour  du rebelle sudiste dans le western contemporain par Yves Gérard

     À presque un siècle d'intervalle, le réalisme de la fresque historique " Gettysburg " ou " Chevauchée avec le Diable " rejoint celui du tout premier film ayant pour thème la guerre de Sécession, nous voulons parler de " Naissance d'une Nation ".

Entre ces deux pôles temporels extrêmes de l'histoire du cinéma, il y aura des œuvres classiques, baroques, voire iconoclastes, où les héros de la cause sudiste sont représentés avec plus ou moins de bonheur et de vérité selon les caprices de l'époque, du politiquement correct ou tout simplement du génie et de l'objectivité du réalisateur.

Dresser un portrait-robot du rebelle n'est pas chose aisée, élaborer une étude exhaustive encore moins. L'essai que nous proposons ici n'a d'autre but que d'évoquer, à travers quelques figures emblématiques du western, le personnage haut en couleur et en idéal du héros sudiste dont le personnage du cow-boy solitaire au passé mystérieux tant de fois évoqué dans le cadre du western n'en est en fait que le prolongement. 

 

-Typologie du rebelle sudiste-

     Autant dire d'emblée que le héros sudiste, s'il était encore besoin de le préciser, n'a pas bonne presse dans l'opinion générale, et n'en aura probablement jamais. Ce sont les vainqueurs qui font l'histoire et il en va ainsi pour toute l'histoire de l'humanité. Etroitesse d'esprit, humanisme bon teint, morale hypocrite liés souvent à des intérêts économiques et expansionnistes font des minorités vaincues le mal qu'il faut éradiquer à tout prix. Le rebelle sudiste en fait partie, et c'est toute une vision du monde et de la vie, des traditions et des mœurs, enracinées dans la culture européenne, qui passent ainsi à la trappe lorsque le décident les affairistes et les donneurs de leçon.

Le rebelle sudiste se présente généralement sous deux aspects.  Soit le soldat régulier, attaché à un corps d'armée, défendant une cause désintéressée et patriotique. Soit le partisan milicien irrégulier, irréductible, rebelle parfois jusqu'à sa propre cause et dont les motivations vont du patriotisme sans limite au banditisme pur et dur. Comme nous le verrons dans l'évolution physique et psychologique de notre personnage, il y a tout un monde entre un Reth Butler d' " Autant en emporte le vent " et un " Josey Wales hors la loi ", comme il y aura encore bien des différences entre ce dernier et le personnage nihiliste de Pitt Mackeson dans le flamboyant " Chevauchée avec le Diable ".

L'apparition du western italien, véritable " ovni " cinématographique, au milieu des années 60, comptera pour beaucoup dans l'orientation future du genre. Dès lors, les héros deviendront plus complexes, plus réalistes, ou totalement baroques, animés d'une morale des plus ambiguës. Une vision sans concession de l'histoire, alliée à la violence la plus barbare, balayera ainsi une dimension romanesque et naïve qui était alors de mise sans l'univers cinématographique.

-Les précurseurs-

     De l'espoir au néant, c'est toute l'évolution du cinéma en général dont il est ici question et nous ne pouvons aborder l'évolution du rebelle sans évoquer brièvement ce film précurseur qu'est " Naissance d'une nation " de W.P Griffith. Fresque monumentale, naïve et émouvante, où la guerre de sécession est traitée dans son intégralité à travers l'histoire de deux familles du vieux sud, ce dernier possède la caractéristique particulière propre au cinéma muet (cf : Murnau, Eisenstein, Chaplin ...) qui est de pouvoir communiquer aux spectateurs, avec des moyens techniques dérisoires, un mélange subtil de réalisme historique et de romantisme, sans oublier les acteurs, qui n'ont que le regard et les gestes pour pouvoir s'exprimer.

Œuvre puissante, partisane sans être fanatique,  naïve sans être ridicule, il faudra attendre plusieurs décennies pour retrouver un tel souffle lyrique avec " Autant en emporte le vent " de Victor Fleming. Il y aurait certes beaucoup à dire sur cette vision plus que romanesque de l'histoire, même s'il existe une fidélité indéniable au livre fleuve de Margaret Mitchell.  Certes, on ne peut nier le caractère immortel de ce film qui a fait rêver tant de spectateurs d'un bout à l'autre de la terre ; d'ailleurs son pouvoir enchanteur ne peut être encore démenti aujourd'hui. Mais pour l'amateur exigeant et féru d'histoire, il faut bien avouer qu' " Autant en emporte le vent " nous montre bien peu de choses de  la guerre de sécession, si ce n'est l'extraordinaire scène où l'on voit Scarlett Ohara totalement choquée, essayer d'apporter un peu de réconfort aux centaines de blessés qui s'entassent dans la ville assiégée de Richmond. Notons au passage cet ample mouvement de caméra qui s'élève au-dessus de la marée des morts vivants, pour finir sur un drapeau confédéré déchiré claquant au vent. (Ce drapeau pathétique nous le retrouverons dans une scène coupée du film " le Bon, la Brute et le Truand ", de Sergio Leone, où Lee Van Clef parcourt de son regard de vautour le paysage désolé d'un fortin sudiste dévasté.)  

Le couple mythique Reth Butler (Clark Gable) et Scarlett Ohara (Vivien Leigh), s'il incarne l'esprit du vieux sud géorgien, ne le fait malgré tout que d'une manière assez caricaturale et surannée. Même si le film évolue de la légèreté vers le drame, et que la rédemption vient de part et d'autre transcender des cœurs et des esprits de glace, nos deux héros, la plupart du temps, n'offrent malheureusement pour l'un, qu'une attitude de séducteur macho assez insupportable, et pour l'autre qu'un catalogue de minauderies et de caprices en tout genre qui entretiendront le film dans un climat mélodramatique feuilletonesque, au détriment d'un contexte historique à peine effleuré et du lyrisme des combats qui lui, est totalement occulté.  

-Le souffle de la guerre -

     Un peu plus près de nous, John Ford nous offre " Les Cavaliers ", une œuvre forte et lyrique, comptant parmi ses meilleurs films. Même si nous nous trouvons toujours ici en présence d'une œuvre académique prônant l'héroïsme et les bons sentiments, il y a dans cette chevauchée initiatique à travers la Géorgie ( Qui n'est rien d'autre en fait que la version " présentable "de l'invasion sans merci du même Etat par les troupes du Général Sherman, avec son cortège d'exactions de toutes sortes.) un réel souci de réalisme historique, et nous verrons au fil des événements les certitudes des uns et des autres voler en éclat devant l'absurdité d'une guerre fratricide.

A travers les destins croisés des personnages déchirés par l'amour et la haine, c'est toute une remise en cause du concept de la " guerre juste " qui est mis en évidence ici. Que ce soit le Colonel Marlowe, incarné par John Wayne, ou le médecin major Kendall, interprété par William Holden, ou bien la belle géorgienne Anna, tous connaîtront l'apaisement de leurs inimitiés respectives à travers la vision de l'autre, mais aussi dans l'épreuve du feu, véritable révélateur des sentiments profonds des uns et des autres. Et là où tout semble encore possible, c'est le déchirement de la séparation qui viendra mettre un terme aux espoirs encore permis. Bien que la guerre civile soit montrée ici du côté nordiste, le héros sudiste y est incarné sous la forme de deux personnages attachants. Tout d'abord, cet officier particulièrement fier, qui dans une scène brève mais inoubliable, part à l'assaut en brandissant une bannière confédérée avec le bras qui lui reste, dans un geste de sacrifice désespéré. Quant à la fière Anna, c'est elle la véritable héroïne sudiste du film, tour à tour insupportable en vierge outragée, ou bien profondément émouvante dans son dévouement pour tous ceux qui souffrent autour d'elle. 

Les figures de Scarlett et d'Anna se ressemblent encore un peu, à presque trente années d'intervalle, mais cette dernière annonce déjà tout le tragique et l'horreur de la guerre qui éclateront plus violemment encore dans les films futurs, notamment dans  " Major Dundee ", réalisé en 1965 par Sam Peckinpah.

Ici pour la première fois, le rebelle, interprété par Richard Harris, nous apparaît comme un dandy cynique et désabusé, qui volera la vedette à Charlton Heston, son alter ego dans l'autre camp. Avec  " Major Dundee ", aventure tragique et sans espoir, fortement teintée d'un nihilisme qu'exploiteront nombre d'œuvres futures, on peut déjà parler de film crépusculaire. Dès le début, on sent qu'il n'y aura dans cette histoire ni vainqueur ni vaincu, et que les survivants emporteront avec eux (pour combien de temps encore ?) le remords et la nostalgie d'un monde perdu. Ce monde, c'est celui des cadets de l'école militaire West Point, là où quelques années auparavant, il n'y avait ni Sud ni Nord, mais de fringants officiers unis par l'amitié virile et l'amour des femmes et des chevaux. Cet univers est admirablement incarné par le tandem Heston/Harris, hantés tous deux par des passions contradictoires.

Et s'il ne fallait retenir qu'un exemple de l'originalité de ce film, c'est bien cette chevauchée éperdue d'une troupe de soldats ennemis, unis bon gré mal gré par le désir commun de mettre un terme aux activités d'un chef apache particulièrement sanguinaire.

D'un point de vue purement formel, le western devient ici réaliste et sale. Finis les cow-boys rasés de près et propres sur eux. Le sang éclabousse les tuniques, les sabres tranchent les chairs. Dans ces combats impitoyables, on sent la sueur et la poudre comme rarement un western l'avait exprimé jusque-là. Les vêtements des sudistes sont en lambeaux, à l'image de l'extrême dénuement de l'armée confédérée, écrasée par un  blocus économique et militaire, de plus en plus lourd en cette année 1864.

Le scénario quant à lui n'offre guère l'occasion d'épanchements sentimentaux. Mis à part une parenthèse amoureuse qui accentuera le conflit personnel des deux héros du film (mais dont la dimension romantique au sens noble du terme viendra apaiser par petites touches un univers d'hommes particulièrement rude) il ne reste plus ici que l'instinct de survie, et un climat de violence où le personnage féminin devient le symbole du bonheur impossible. Ce personnage féminin l'était déjà avec " Les Cavaliers ", mais il y avait encore là une touche d'espoir et d'exaltation de certaines vertus héroïques ; et si le Capitaine Tyrren n'hésite pas à sacrifier sa vie pour sauver ceux-là même qui le détenaient prisonniers, le Major Dundee rentera au Texas tel un fantôme ayant perdu tout ce qui pouvait encore donner un sens à sa vie. Quelques années plus tard,  Sam Peckinpah atteignait l'apogée de son art avec " La Horde sauvage ", autre western crépusculaire.

-Réalisme et baroque -

     On peut se demander si un film comme " Josey Wales hors la loi " aurait pu voir le jour sans l'arrivée explosive du western italien, et si Clint Eastwood, tout imprégné de l'œuvre de Sergio Leone, n'était pas passé derrière la caméra. Et puisqu'on évoque ici Sergio Leone, parler du " Bon, la Brute et le Truand " nous paraît incontournable. Tout d'abord, parce qu'il est le point d'orgue d'une trilogie ("  Pour une poignée de dollars ", " Et pour quelques dollars de plus ", " Le Bon, la Brute et le Truand ") qui restera dans les mémoires comme étant la grande révolution du western, et puis parce qu'en ce qui nous concerne, ce film aborde la guerre de Sécession d'une manière tout à fait étonnante et réaliste, pour un réalisateur et un style qui à l'époque passaient pour mineurs.

C'était sans compter sur l'enthousiasme des foules. Si la guerre ici n'est en fait qu'une toile de fond pour une aventure plutôt immorale et assez délirante, il faut tout de même noter un fond historique particulièrement soigné, notamment dans la scène de bataille pour le pont, ou bien dans la vision baroque d'éclaireurs sudistes affublés de barbes descendant jusqu'à la ceinture. Et chose plutôt rare dans ce domaine,  Sergio Leone choisit de nous montrer la barbarie d'un camp d'internement nordiste plutôt que sudiste. Parti pris ou pur aléa du scénario ? Nul ne le sait. Quant à " l'homme sans nom ", qui est-il donc et d'où vient-il ? La réponse se trouve peut-être au tout début du film dans la longue scène d'introduction des personnages, lorsque celui-ci apparaît, vêtu d'une capote sudiste et coiffé d'un " panama " blanc. A moins que ces vêtements aient été empruntés, comme le sera plus tard le poncho mexicain, pris sur un jeune sudiste agonisant. ( Cette scène est à rapprocher de celle des " Cavaliers " où l'on voit John Wayne au chevet d'un tout jeune confédéré agonisant, vision qui déclenchera en lui une réaction de révolte et d'écoeurement.)

" L'homme sans nom ", qui est d'ailleurs aussi par la même occasion sans foi ni loi, n'a pas d'autre idéal que l'appât du gain, mais à l'inverse des deux autres personnages du trio infernal, il n'est ni " primaire " comme le bouffonnant Tucco, ni pervers comme Sentanza. Derrière son cynisme et son amoralité, se cache une profonde humanité qui se révélera au cours de deux scènes mémorables. Tout d'abord l'incroyable combat pour le pont, où dans un geste parfaitement désintéressé, et au mépris de sa vie, il offrira au commandant nordiste le plus beau des cadeaux : voir sauter le pont pour arrêter une boucherie sans fin. Et surtout la scène émouvante du confédéré agonisant. Ici,  l'homme sans nom approchant du mourant, lui offre quelques bouffées de son éternel cigarillo, comme si cela pouvait encore lui donner un peu de vie. Et dans le regard crispé de l'étranger, c'est toute une palette de sentiments qui défile, dans un moment de grâce et de silence où le temps semble être suspendu. Compassion, absurdité, écoeurement, c'est toute l'horreur d'une guerre qui ne l'avait guère concerné jusque-là et qui s'impose alors à lui. Comme si le fait de " n'avoir jamais vu crever autant de monde en si peu de temps " (cf. dialogue du film) avait réveillé la part d'humanité qui sommeillait en lui.  L'homme sans nom  traverse la trilogie de  Sergio Leone comme un fantôme pathétique. Il annonce " Josey Wales " puis de manière générale, les anti-héros emblématiques de  Clint Eastwood réalisateur : " Pale Rider ", " L'Homme des hautes plaines ", puis d'une manière définitive, William Moony du film " Impitoyable".

        

-L' " icône "incontestable du rebelle sudiste -

     " Josey Wales hors la loi " est sans aucun doute, avec plus près de nous, " Chevauchée avec le Diable ", le film référence sur l'histoire peu connue des francs-tireurs du Missouri. Premier western réalisé par Clint Eastwood, il emprunte à la fois aux genres italien et américain. Le réalisateur a été à bonne école avec  Sergio Leone. Son film  est un pur chef d'œuvre de maîtrise et de lyrisme. Plutôt considéré du point de vue du sud, " Josey Wales " est riche d'enseignements sur la reddition des états confédérés et ce que l'on nomma hypocritement la " Reconstruction ". Le héros fait partie de ces hommes qui n'acceptent pas la défaite, et préfèrent mourir plutôt que de se soumettre à l'ennemi. Ici l'héroïsme et les bons sentiments cèdent la place à la faiblesse humaine et à une folie meurtrière dictée uniquement par l'esprit de vengeance.

Josey Wales n'est pas un riche planteur du sud, ou encore un officier couvert de lauriers, mais un simple fermier du Missouri. Et en cela, le fait est nouveau. D'une part,  Clint Eastwood a voulu montrer que les sudistes n'étaient pas forcément des exploiteurs qui passaient leur temps à courtiser les femmes sous les magnolias pendant que les esclaves se faisaient fouetter dans les champs, mais qu'ils étaient aussi des fermiers et des paysans qui ne voulaient pas être spoliés de leurs terres par un occupant indésirable et souvent impitoyable.

Car, ne l'oublions pas, la guerre de sécession avant d'être une lutte pour ou contre l'esclavage est aussi une guerre économique. Josey Wales n'a pas d'esclaves, il cultive seul sa terre avec son fils, et comme on voit dès le début du film, tout bascule autour de lui lorsque sa famille est massacrée sous ses yeux, et sa ferme brûlée par les " red legs " ; autres miliciens irréguliers mais du côté nordiste cette fois-ci.

Dès lors, il n'aura de cesse de rechercher les assassins, traversant un certain nombre d'épreuves avant de retrouver la paix et même l'amour.

Film lumineux, lueur d'espoir au milieu de la folie des hommes,  Josey Wales est la quête initiatique d'un homme dont la vie n'a plus de sens, et qui trouvera tout au long de son long chemin de croix les raisons mêmes de sa rédemption à travers des compagnons tout aussi imprévus que pittoresques. Ceux-ci renforceront malgré lui son désir de vie en un moment où la chute était irrémédiable. Car ne nous y trompons pas, il n'y a certes rien d'anodin chez ce vieux chef indien apparemment gâteux mais doué d'une profonde sagesse, ou cette squaw dévouée qui suivra Josey Wales comme une ombre, ou encore ce chien errant sur lequel  Josey déversera sans cesse son cynisme et son aigreur.

Mais entre le bonheur éphémère détruit par le vent de la guerre et cet apaisement final, où Josey jette enfin les armes et abandonne sa haine retrouvant un amour qu'il ne soupçonnait plus, c'est toute une chevauchée de mort et de sang que doit entreprendre notre héros, véritable catharsis d'un homme pour qui seul le meurtre donnait encore une raison d'exister. Et cette équipée sauvage, il l'entreprendra au tout début du film, avec les pires ou les meilleurs des hommes, selon les points de vue.

Ce sont eux que nous retrouvons un quart de siècle plus tard -(1999)- avec le sublime " Chevauchée avec le diable " du cinéaste chinois Ang Lee.      

-Un réalisateur chinois avec les rebelles du Missouri -

     Nul n'est prophète en son pays, ce n'est un secret pour personne et  Ang Lee en est la preuve vivante. Un asiatique réalisant un western ayant pour toile de fond une guerre qui a priori ne devrait le toucher que de très loin, et qui traite de surcroît un aspect peu connu de cette guerre, voilà qui devrait plutôt surprendre. Mais lorsqu'on se nomme Lee, il doit bien y avoir quelque part une sorte d'atavisme entre le réalisateur et son homologue par delà le temps, le fameux général sudiste.

Ce film, pratiquement passé sous silence, nous offre le plus bel hommage qu'un homme ait pu faire au western à l'aube du nouveau millénaire, mais surtout à ces farouches partisans du Missouri, que l'on croyait à jamais remisés dans les coulisses de l'histoire. Ces rebelles hors la loi, Ang Lee ne nous les présente pas non plus comme des héros mais comme des êtres jetés par le destin dans une spirale meurtrière qui ne s'arrêtera qu'avec leur propre mort. La plupart des francs-tireurs étaient de très jeunes hommes, souvent à peine sortis de l'adolescence. L'assassinat d'un proche ou d'un ami cher par les forces armées d'occupation ou les miliciens suffisaient pour rejoindre les bandes d'irréguliers sudistes dont les chefs passaient aux yeux de ces apprentis tueurs pour des héros de la cause confédérée.

Mais la réalité était parfois beaucoup moins reluisante. En effet, pour beaucoup, la guerre n'était en fait qu'un prétexte au pillage, à la torture gratuite et au meurtre. Ang Lee, contrairement à l'auteur du livre dont il s'est inspiré, (" Chevauchée avec le Diable " de James Woodrell.)   ne s'attarde pas sur l'aspect malsain et sordide de la guerre des miliciens.

Tout au plus nous montera-t-il quelques scalps pris sur l'ennemi, joués au poker lors d'une veillée nocturne. Le réalisateur préfère nous donner une vision plus romantique et chevaleresque de cette guerre parallèle, et c'est un choix qu'il fait, car même si le personnage de Quantrill, (John Ales) vu à travers l'analyse de l'histoire, donne plutôt l'impression d'un tueur psychopathe que celle d'un Robin des Bois, la scène où celui-ci harangue ses troupes au beau milieu d'une clairière demeure l'une des plus belles du film. À ce moment précis, la vérité historique importe peu au réalisateur, puisqu'il s'agit pour lui de transmettre au spectateur des valeurs héroïques, immuables et éternelles.

Sur un plan purement formel, les costumes, les armes, les barbes, les cheveux longs et les amples chemises sudistes reflètent d'une manière particulièrement fidèle l'allure sauvage de ces hommes comme aurait pu le faire un photographe de l'époque. Nul doute qu' Ang Lee ait puisé pour cela aux sources les plus exactes de l'histoire, plus que quiconque ne l'avait fait auparavant. D'autre part, mettre en scène un noir qui n'est pas un esclave maltraité mais un domestique ami d'enfance du guerrier esthète Georges Clyde (Simon Bakler)  contribue aussi à " remettre les pendules à l'heure " et à nous montrer ce qu'était la réalité sudiste ; paradoxe ultime où l'on voit le même noir faire le coup de feu contre les yankees quand cela est nécessaire.  

     Enfin, nous ne pouvons quitter  " Chevauchée avec le diable " sans évoquer ce qui pour nous demeure la grande scène du film, parce qu'elle représente à elle seule la quintessence de la tragédie sudiste. En effet, à y regarder de plus près, le face à face Jake (Tobey Maguire) et Pitt Mackeson (Jonathan Rhys Meyers) nous offre l'un des moments les plus terribles de toute l'histoire du western et pourtant il n'y aura là aucune effusion de sang. Alors que la vie de Jake semble trouver enfin un équilibre, survient celui que l'on attendait plus, Pitt Mackeson, le redoutable et juvénile tueur. Celui qui dans un geste presque féminin au début du film libère ses longs cheveux dans un long cri de délivrance, après avoir abattu froidement plusieurs soldats yankees, nous apparaît au bout du chemin livide et courbé sur l'échine de son cheval, tel un fantôme surgi de nulle part.

Son regard démoniaque, il le projette de manière étrange sur un  Jake qu'il ne reconnaît plus. Ce dernier, cheveux coupés, rasé de près, transformé en parfait père de famille, semble soudainement bien fade à côté de cet homme surgi de l'enfer. Jake choisit de fuir une guerre désormais perdue, Pitt, lui, décide d'aller boire un dernier verre dans la ville qui l'a vu naître. Cette ville infestée de soldats yankees ne l'arrêtera pas dans sa décision, et ce baroud d'honneur pour un homme qui n'a plus rien à perdre, ressemble étrangement à un suicide programmé. Jake, à l'image de  Josey Wales, abandonne la guerre. L'un comme l'autre le font par lassitude et lucidité, le Sud est vaincu. Pitt Mackeson choisit la mort plutôt que l'humiliation, il est, et ce de manière définitive, l'incarnation du rebelle authentique, celui qui refuse de s'avouer vaincu. C'est finalement lui qui représente de manière la plus parfaite qui soit, le partisan du Missouri. Au bout du compte, et ce malgré son attitude particulièrement odieuse tout au long du film, Pitt Mackeson succombe à ses penchants obscurs, il assume néanmoins jusqu'au bout son destin de bandit errant, un peu comme les quatre hors-la-loi suicidaires de la Horde Sauvage.

-Après la guerre-

     Et si la guerre doit bien finir un jour, nous retrouvons néanmoins ces soldats perdus dans le film de Walter Hill, " Long Riders " (le gang des frères James) qui constitue une suite et une fin logique à l'aventure crépusculaire du rebelle sudiste. S'il ne faut pas être trop exigeant quant à l'armement et certains costumes du film, Long Riders demeure un hommage vibrant à ces combattants du Sud qui continuèrent à faire régner la terreur bien après la fin de la guerre de Sécession. Les frères James, Youngers, et bien d'autres compagnons de route de cette terrible chevauchée avec le diable, menée par Quantrill ou Bill Anderson, représentent le type même de ces mercenaires éternels pour qui la guerre n'est jamais finie, inadaptés sociaux qui ne peuvent guère faire autre chose que voler et tuer dans un monde anéanti, où la nostalgie d'un mode de vie ancestral l'emporte sur le progrès et le mercantilisme imposés par les vainqueurs. Particulièrement fidèle à l'histoire et servi par des comédiens de haut vol, (les frères Carradine, Randy et Denis Quaid) Long Riders nous entraîne dans une aventure sans lendemain, où l'auteur laisse la part belle au folklore sudiste, notamment au plan musical. 

-Quand le cinéma reconstitue fidèlement l'histoire -

     Nous ne pouvions terminer notre propos sans évoquer quelques films où l'aspect historique est abordé de manière particulièrement fidèle et exigeante. Il s'agit de Nord et Sud (Richard T. Heffron), Glory (Edouard Zwick) et Gettysburg (Ronald F. Maxwell). (Auxquels il faudrait ajouter le film " Patriote " de Roland Emmerich, qui même s'il ne traite pas de la guerre de Sécession mais celle de l'indépendance, nous offre dans une fresque épique, âpre et sauvage, un type de rebelle incarné magnifiquement par Mel Gibson, qui annonce inévitablement en ce XVIII° siècle finissant, celui du futur partisan sudiste.)   Le premier, adapté du roman fleuve de John Jakes, restitue d'une manière soignée l'atmosphère de l'époque. Ce film réalisé pour la télévision est un modèle du genre, retraçant sous la forme d'une fresque immense le destin de deux familles déchirées par la guerre. Et si l'on peut à juste titre parler d'une certaine parenté avec Autant en emporte le vent sur la plan romanesque, la comparaison s'arrête là car le film nous donne énormément de renseignements au quotidien dans le nord comme dans le sud, passant de la simple anecdote aux étapes les plus décisives de la guerre.

     Même chose pour Glory qui aborde un sujet tout à fait particulier, celui de la création d'un régiment noir dans les armées du Nord. Ici, force est de constater que malgré la grandeur d'âme et la profonde sincérité qui animaient l'officier chargé de les encadrer, les noirs ne furent jamais les bienvenus chez la plupart des Yankees. Le racisme des gens du Nord valait bien en fait celui des gens du Sud, ce qui nous indique une fois de plus que l'émancipation des esclaves n'était pas leur intérêt majeur. Subissant brimades et vexations de toutes sortes là où ils pensaient trouver la liberté et la dignité, ils furent finalement utilisés comme de la chair à canon providentielle en un moment décisif de la guerre où les armées du Nord  subissaient de terribles revers. Nouveaux martyrs d'une cause qui ne les reconnaîtra jamais ou bien peu, ces soldats noirs d'une bravoure exceptionnelle retrouvèrent une fois la guerre terminée leur condition d'esclaves, cette fois-ci dans les usines du Nord, avec le plus souvent pour toute récompense le chômage et la clochardisation. On peut penser à juste titre que beaucoup d'entre eux aient pu regretter les champs de coton ou bien la condition relativement respectable de domestiques ou bien encore de gouvernants des enfants du maître des lieux. Mais cela nous amènerait trop loin de notre propos.  (Précisons que les généraux Lee et Thomas Jackson étaient opposés à l'esclavage. Le premier ayant choisi le camp de la Sécession par respect et devoir patriotique pour son pays, la Virginie; le second pour de profondes convictions religieuses qui l'animeront jusqu'à sa mort à la bataille de Chancellorsville.)   

     Gettysburg, enfin ! qui demeure à nos yeux le grand film historique sur la guerre de Sécession. Plus de quatre heures de combats acharnés, (La bataille de Gettysburg ne dura pas moins de trois jours consécutifs, menant les belligérants à un épuisement extrême et à la disparition de plus de la moitié de leurs effectifs.)  entrecoupés de quelques rares scènes intimes où l'on perçoit les états d'âme, les incertitudes et les doutes d'officiers qui à leur insu menèrent leurs hommes à l'abattoir dans la plus meurtrière et la plus décisive bataille que les armées ennemies auront eu à mener durant cinq années d'une guerre sans merci.  Gettysburg, c'est un peu la guerre " comme si vous y étiez ". Le réalisateur a pris soin comme dans un reportage de ne rien laisser au hasard et de nous montrer presque en temps réel une incroyable boucherie qui vit les armées du Nord renforcées dans leur espoir de victoire, et celles du Sud déjà passablement affectées par le dénuement moral et physique, entamer leur lent et inexorable cheminement vers la défaite. Les exemples du rebelle sudiste ne manquent pas ici, même si en l'occurrence il s'agit là principalement d'officiers d'une armée régulière, donc d'hommes à l'univers militaire strictement ordonné et aux motivations patriotiques. Nous voilà  bien loin tout à coup du Missouri et de ses partisans...  L'intérêt majeur de cette extraordinaire fresque est de montrer finalement l'incroyable abnégation d'hommes qui par-delà le déchirement d'une guerre fratricide, trouvèrent le moyen de demander des nouvelles de l'officier ennemi, ancien camarade de West Point ou ex-frère d'armes, vétéran de la guerre du Mexique. Mais ce que nous retiendrons par-dessus tout dans ce film-témoignage, c'est la vision de ces extraordinaires soldats confédérés : pour la plupart simples fermiers ou agriculteurs, vêtus de guenilles et marchant pieds nus,  avançant au pas sous la mitraille et poussant des cris sauvages, comme pour mieux se donner du courage face à une mort quasi certaine. (A l'heure où nous terminons cet article, nous avons eu l'occasion de visionner le tout récent film de Ronald Maxwell : "Gods and Generals" qui forme avec " Gettysburg " le 1° volet d'une trilogie qui devrait couvrir l'ensemble de la guerre de Sécession. "Gods and Generals" traite des événements antérieurs à Gettysburg. Si l'on retrouve ici les scènes de bataille particulièrement réalistes, ce premier volet aborde aussi la vie des hommes et des femmes en marge de la guerre, alors que " Gettysburg " traitait principalement l'aspect guerrier et stratégique de l'événement.

...Quelque autres rebelles 

     Nous évoquions plus haut ces hommes perdus dans l'œuvre de Clint Eastwood, il faudrait y ajouter aussi Billy le Kid, cet autre inadapté social, définitivement incarné par l'acteur Emilio Estevez dans le film Young Guns du réalisateur Christopher Caen, Doc Holiday (Dennis Quaid), sudiste éternel, tuberculeux émouvant et compagnon du shériff Wyatt Earp dans le magnifique film éponyme de Kasdan.  Même chose pour le tueur muet et fantasmagorique du " Grand Silence " de Sergio Corbucci, interprété par Jean Louis Trintignant totalement halluciné, ainsi que Django (Franco Nero), le mort-vivant, du même réalisateur. Que dire aussi des interprétations multiples du cow-boy solitaire par le fabuleux John Wayne, que reprendra finalement avec plus de sauvagerie et de noirceur Clint Eastwood son disciple, il ne faut pas l'oublier. Que dire enfin des quatre cavaliers de l'Apocalypse, héros nihilistes et suicidaires de la Horde Sauvage, qui pourraient à eux seuls résumer tout ce que nous venons d'exprimer sur le sujet, mais aussi tout ce que nous avons oublié.

     En guise de conclusion, nous dirons qu'au-delà du rebelle sudiste, c'est tout le mythe du cow-boy solitaire qui est en jeu, et celui-ci traversera l'histoire du western  comme un héros sombre au passé mystérieux dont les valeurs ne coïncident plus avec celles des vainqueurs.

Car ne nous y trompons pas, ce " poor lonesome cow-boy "  n'est rien d'autre que l'ancien rebelle sudiste ne pouvant plus survivre dans un monde nouveau, qui par ailleurs le rejette. Ce personnage qui évoluera du héros solaire des premiers westerns tout imprégnés de gloire et d'héroïsme, à l'anti-héros crépusculaire des westerns contemporains, est bien le même. C'est la société qui à travers plusieurs dizaines d'années de cinéma lui donnera une image de plus en plus sombre et désespérée et de ce fait, de plus en plus réaliste. Le rebelle est mort à la fin de la guerre de Sécession et s'il lui arrive de survivre, ce sera pour subir la loi des vainqueurs. Ne nous étonnons donc pas de le retrouver en hors-la-loi ou en cow-boy errant, avec cette pointe de nostalgie et de tristesse souvent manifestée par une économie de mots et de gestes, qui est en fait la nostalgie d'un monde perdu ou agonisant, celui des chevaux, des grands espaces et des hommes d'honneur. 

  

Films cités

Naissance d'une Nation
Autant en emporte le vent
Les Cavaliers
Major Dundee
Le Bon, la Brute et le Truand
La Horde sauvage
Josey Wales hors la loi
Glory
Gettysburg
Chevauchée avec le Diable
Retour à Cold Mountain

de W.P Griffith
de Victor Fleming
de John Ford
de Sam Peckinpah
de Sergio Leone
de Sam Peckinpah
de Clint Eastwoo
de Edouard Zwick
de Ronald F. Maxwell
de Ang Lee
Anthony Minghella

(1915)
(1939)
(1959)
(1965)
(1967)
(1969)
(1976)
(1989)
(1993)
(1999)
(2003)

Un article de YVES Gérard, batteur du "REAL ROCKIN' MOVE", le groupe de Vince Rogers, d'après la mise en place du texte faite par Eric Mayen, complément de l'émission radio "GOIN' BACK TO THE WILD SOUTH" : cinemaandrock.musicblog.fr/home

LE CINÉMA POLICIER ITALIEN DES ANNÉES 70 par FRANKIE MARINO

ERASER HEAD vu par Simon Laperrière

FOLIES PASSAGÈRES vu par Mario Giguère

Les MONSTRES VÉGÉTAUX par Mario

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