LA GAZETTE DU CLUB DES MONSTRES

NUMÉRO 116


par Jean-François Berreville

L'AMOUR MONSTRUEUX

            
Andrzej ZULAWSKI dirigeant Isabelle ADJANI sur le tournage de POSSESSION.

Le réalisateur d’origine polonaise Andrzej Zulawski a disparu le 17 février 2016 à Varsovie à l’âge de 75 ans des suites d’un cancer. Il avait effectué l’essentiel de sa carrière en France, se consacrant à l’évocation des relations de couple dans ses films, notamment dans son film fantastique considéré comme le plus représentatif de son œuvre, POSSESSION.

Il a écrit lui-même le scénario de ce film franco-allemand de 1981, après avoir du quitter subrepticement la Pologne où son film de science-fiction LE GLOBE D’ARGENT inspiré par l’œuvre de son grand-oncle avait été interrompu par les autorités pour non-conformité idéologique avec le régime. Comme CHROMOSOME 3 (THE BROOD) de David Cronenberg avec lequel il présente des similitudes, POSSESSION est la vision du couple livrée par un metteur en scène confronté à un divorce difficile. Mark, interprété avec conviction par Sam Neill (un acteur coutumier du fantastique puisqu’on l’a vu la même année dans LA MALÉDICTION FINALE (THE FINAL CONFLICT), puis par la suite dans LES AVENTURES D’UN HOMME INVISIBLE (MEMOIRS OF AN INVISIBLE MAN), L’ANTRE DE LA FOLIE (IN THE MOUTH OF MADNESS), EVENT HORIZON, JURASSIC PARK et JURASSIC PARK 3) sent son épouse Anna (Isabelle ADJANI, déjà à l’affiche du remake de NOSFERATU) lui échapper, à l’occasion de scènes brillantes de confrontation empreintes de vérité. Suspectant qu’elle le trompe, il découvre effectivement qu’elle s’offre régulièrement à un amant, un personnage libertin et assez cynique, Heinrich (Heinz Bennent, que les spectateurs français ont pu voir dans LE DERNIER MÉTRO ainsi que parmi la pléthore de seconds rôles talentueux de la série DERRICK), qui se comporte comme une sorte de gourou. Un temps déstabilisé par sa logorrhée puis finalement excédé, Mark entreprendra de l’éliminer lors d’une scène épouvantable, le punissant ainsi de la dérive de son épouse dont il le rend responsable, mais cette action radicale ne la lui rendra pas car celle-là est déjà passée à un autre stade, comme Heinrich épouvanté par ce qu’il avait appris l’en avait auparavant informé.


Le temps de l'explication nécessaire, mais finalement inutile, entre les époux, littéralement dos à dos.


Le charme trouble d'Heinz BENNENT dans le rôle du séducteur Heinrich. 

Loin de l’épanouissement promis par la libération des sens, Anna s’avère aliénée par ses pulsions auxquels elle laisse libre cours. Elle rejette son univers familial, n’éprouvant plus d’attachement ni pour son mari ni pour son fils Bob (Michael Hogben) qu’elle se met à négliger, rupture manifestée de manière particulièrement violente lors de scènes de folie et d’hystérie dans le métro et devant un crucifix durant lesquelles elle laisse s’exprimer ce qu’il y’a de plus viscéral en elle - prestation qui pousse l’actrice dans ses extrémités à un point tel qu’elle regrettera par la suite de s’être tant livrée, concédant que le cinéaste lui avait révélé des choses qu’elle aurait préféré ne « jamais avoir découvertes ». Son immersion dans son rôle lui vaudra d’être honorée par le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes en 1981, le César de la meilleure actrice en 1982 et le prix de la meilleure actrice au festival Fantasporto.


Sam Neill dans le rôle de Mark avec Isabelle ADJANI dans le rôle de son épouse sous la caméra d'Andrzej ZULAWSKI.

A la manière de Nola Carveth jouée par Samantha Egar dans CHROMOSOME 3 dont la jalousie et l’hystérie l’amenaient à donner naissance à des enfants monstrueux envoyés accomplir ses desseins criminels, Anna engendre par un processus qui n’est pas explicité une créature issue de son subconscient libidinal, laquelle se développe progressivement, pour devenir l’amant parfait, comme si Heinrich déjà oublié n’avait été qu’un initiateur, un simple passage de relais ayant révélé son appétit sexuel latent mais pratiquement insatiable.


Exposition à Rome d'une photo du film CHROMOSOME 3 (THE BROOD) réalisé en 1979 par David Cronenberg, montrant l'utérus néoformé de Nola.


Nola (Samantha Egar) prend soin du nouveau né sorti de son utérus surnuméraire engendré par sa rage.

C’est le créateur d’effets spéciaux italien Carlo Rambaldi, ayant œuvré sur le remake de KING KONG produit par Dino de LAURENTIIS, sur RENCONTRES DU TROISIÈME TYPE (CLOSE ENCOUNTERS OF THE THIRD KIND), et futur créateur du personnage de E.T. L’EXTRATERRESTRE (E.T. THE EXTRATERRESTRIAL) et des monstres de DUNE (voir l’hommage très détaillé qui lui a été consacré en ces pages) qui est chargé depuis ses studios encore basés à Rome de concevoir l’entité. Le spécialiste des créatures mécaniques en propose différentes conceptions ; malheureusement, les versions non retenues sont perdues, les documents s’y rapportant faisant partie de la masse importante d’archives qui furent volées après la disparition du créateur. Le réalisateur ne fut cependant pas satisfait du résultat, retouchant lui-même manuellement le second stade quelques heures avant le tournage.


L'affiche de POSSESSION, figurant l'étreinte d'Anna avec une créature tentaculaire, mais constituant aussi une référence visuelle à la Gorgone, figure féminine mythologique qui détruit les hommes qui l'approche.


Carlo RAMBALDI avec une maquette du monstre, et des dessins conceptuels, perdus suite à des agissements malhonnêtes.

La toute première manifestation de la créature à l’écran ne consiste qu’en un peu de matière visqueuse se développant sur le mur humide d’un appartement qu’Anna a loué. Le premier stade du monstre proprement dit est d’apparence très tentaculaire, ses membres étant encore complètement flexibles, ce qui n’empêche pas Anna de se livrer à lui sans retenue, et de tuer sans ménagement le détective privé (Carl Duering) engagé par Mark lorsqu’il découvre son secret, ainsi que Zimmerman (Shaun Lawton), le compagnon de ce dernier à la recherche de l’enquêteur.

L'amant à peine formé mais déjà très actif sexuellement sur sa couche.


Préparation de la scène avec le stade suivant de la créature, au torse déjà plus humanoïde.


Le réalisateur retouche en personne la créature, suite à un désaccord avec Carlo RAMBALDI.


Une scène très explicite...


L'incarnation ultime de la créature, un doppleganger, double parfait de Mark, le même "en mieux" selon son épouse aux pulsions libidinales enfin assouvies, comme elle l'affirme avec un aplomb cruel à son ancien mari.

Le monstre devient progressivement plus humanoïde, d’étreintes en étreintes, jusqu’à son stade ultime, un parfait sosie de Mark, épanoui sexuellement. Dans le même temps, le mari éconduit débute une relation sentimentale avec l’institutrice de son fils, Helen, qui ressemble elle-même comme une jumelle à Anna, mais avec un tempérament beaucoup plus amène, telle la version de son épouse telle qu’elle devait être initialement - laquelle est également interprétée par Isabelle ADJANI. Poursuivi par la police, Mark retrouve son épouse et son propre double qu’il tente en vain d’abattre, blessant mortellement Anna, et après l’avoir tenue dans ses bras une dernière fois, se jette dans l’escalier pour en finir.

Alors que des explosions se produisent à l’extérieur, laissant augurer du déclenchement d’une guerre, le double de Mark vient trouver Helen, à présent libre de former un nouveau couple en remplacement des originaux détruits alors que le fils vient de se suicider par noyade dans la baignoire.


Le jeune fils ne survit pas à la destruction de sa famille.

POSSESSION semble à la manière de FRISSONS (SHIVERS/PARASITE MURDERS) réalisé en 1976 par David CRONENBERG questionner la libération des mœurs que constitue la révolution sexuelle, quant à l’effet destructeur sur les relations sentimentales traditionnelles plus établies, ayant produit l’éclatement de la structure familiale, avec la multiplication des familles recomposées et les difficultés qu’induisent cette nouvelle situation (les remakes par Philip KAUFMAN de L'INVASION DES PROFANATEURS DE SÉPULTURES en 1978 et plus tard Abel FERRARA en 1993 s'y réfèrent aussi de manière plus ou moins implicite). Ce nouveau cadre trouve ici son illustration ultime avec le suicide de l’enfant, qui n’a symboliquement plus sa place lorsque les parents forment de nouvelles unions (on sait d’ailleurs que parmi les deux enfants qui meurent chaque jour en France de coups et mauvais traitements, une grande majorité d’entre eux sont victimes du nouveau conjoint de la mère qui ne perçoit leur souffre-douleur que comme une pièce rapportée indésirable).


Scène de FRISSONS (SHIVERS) de David CRONENBERG (1975) dans lequel des parasites se propagent au travers des relations sexuelles adultères, accroissant la libido de leur hôte.


Mark (Sam NEILL) dans POSSESSION d'Andrzej ZULAWSKI : la trahison du sentiment amoureux engendrant une douloureuse sensation de perdition.

Le réalisateur rapproche à dessein le matérialisme freudien qui imprègne le film avec celui du système socialiste qui est évoqué implicitement à travers les plans montrant le Mur de Berlin tout proche, qui séparait alors encore la ville de sa partie sous administration communiste, l’épilogue pouvant laisser entendre que dans un monde sans repère, dépourvu d’intériorité, dans le lequel le conflit et l’absence d’empathie sont devenus la norme, l’aboutissement logique peut en être la confrontation généralisée.


               Andrzej ZULASWKI sur POSSESSION.

Andrzej Zulawski avait formé un nouveau couple avec l’actrice française Sophie MARCEAU avec laquelle il a vécu 17 ans et qui lui a donné un deuxième fils. En 2001, le réalisateur et son épouse se sont séparés, rupture qui l’a suffisamment ébranlé pour qu’il y consacre deux livre, O NIEJ et L'INFIDÉLITÉ. Pour le cinéaste qui a si bien retranscrit tout au long de sa carrière les affres de la passion amoureuse, une nouvelle démonstration que décidément l’attachement sentimental est souvent source de souffrances.


Aimer à en mourir.


Loin de toute mièvrerie, l'amour vu comme un combat à mort entre les êtres.

Andrzej ZULAWSKI, un regard pénétré sur la passion amoureuse, bouleversé par la découverte initiale de l’infidélité de sa première épouse, qui nous a rappelé que la monstruosité n'est jamais loin de la "normalité" .

Jean-François Berreville

Le blog de Jean-François Berreville creatures-imagination.blogspot.com

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