LA GAZETTE DU CLUB DES MONSTRES

NUMÉRO 97


par Jean-François Berreville

 ALIEN DE NOUVEAU ORPHELIN

 Après la disparition du scénariste d’ALIEN, Dan O’BANNON qui avait imaginé l’histoire de la célèbre créature de l’espace, puis celle du spécialiste des effets spéciaux mécaniques qui avait agencé la tête du monstre extraterrestre, Carlo RAMBALDI, à la suite desquelles on avait consacré à l’époque un hommage, c’est à présent l’artiste qui avait imaginé son apparence qui s’est éteint le 12 mai 2014 à Zurich, en Suisse, des suites d’une mauvaise chute à l’âge de 74 ans.

UNE ŒUVRE EMPREINTE DE SCANDALE

 Artiste suisse né le 5 février 1940 à Chur, Hans Rudi GIGER est fils d’un pharmacien d’allure assez austère dont le souhait de transmission de son officine ne dissuadera pas le jeune garçon passionné par le fantastique et l’art de se lancer dans des études artistiques à Zurich de 1962 à 1970. Même si le dessin industriel n’intéresse que modérément le jeune étudiant, sa formation lui permet de se familiariser avec des techniques comme le maniement de l’aérographe qui lui seront utiles pour le rendu de ses peintures. Décorateur figurant dans l’annuaire, il n’a jamais été contacté à sa grande satisfaction, préférant employer son temps à peindre des toiles, souvent inspirées de cauchemars personnels. Hans GIGER semble fasciné par l’extrême et l’interdit. Passionné par les armes à feu, il les forge lui-même au point d’avoir failli faire sauter l’atelier de préparation de son père alors qu’il coulait le plomb dans la cave, et il est passé près de la mort à plusieurs reprises alors que des proches lui tiraient dessus avec des armes censées être inoffensives. En dépit d’un certain intérêt pour le puritain auteur Howard Philip LOVECRAFT et ses entités cosmiques qui l’amènera à intituler « Necronomicon » certaines toiles – du nom du livre maudit imaginaire inventé par l’écrivain, auquel le peintre suisse semble accorder quelque réalité - les sources principales de son inspiration sont plus prosaïquement le sexe et la mort. S’il est bien un artiste qui donne corps à la rencontre supposée par les psychanalystes entre « Eros et Thanatos », c’est bien le peintre suisse, les deux se retrouvant souvent associées à l’accouchement, et occasionnellement à des connotations blasphématrices antichrétiennes. L’artiste est sulfureux et sa peinture détaillant un coït pour la couverture du groupe de rock « The dead Kennedys » exposée en 1978 à New-York a fait scandale, certains estimant qu’il relevait davantage de la pornographie que de l’art, même si la justice n’a finalement pas demandé l’interdiction de présentation au public. GIGER accumulait dans son garage des squelettes d’animaux et n’hésitait pas à se fournir auprès des bouchers en pièces osseuses pour confectionner ses artefacts, comme ceux de sa salle spéciale, « le train fantôme », où il emmenait souvent des jeunes filles avec des intentions que sa timidité l’empêchait souvent de concrétiser. Un autre élément encore des peintures de GIGER, qui n’est peut-être pas sans rapport avec sa formation, est l’inclusion d’éléments mécaniques, industriels, combinés à des formes plus organiques, les ossements se mêlant au métal pour forger un style qu’il a lui-même qualifié de « biomécanique ». On peut évoquer aussi qu’à la suite de la dépression et du suicide de sa première compagne, Li TOBLER, il fut reproché à GIGER d’avoir contribué à cette tragédie par l’univers morbide dans lequel il vivait.

LE RAPPROCHEMENT AVEC LE MONDE DU CINEMA

 S’intéressant à la culture populaire sous toutes ses formes, il réalisa aussi bien des couvertures de disques comme pour la chanteuse Blondie ( Debbie HARRY, qui interprétait par ailleurs la brune sophistiquée à la poursuite de laquelle s’élançait le personnage principal du film VIDEODROME de David CRONENBERG) que des tableaux, et envisagea aussi très rapidement les possibilités offertes par le cinéma. Son compatriote Fredi MURER qui avait fait un documentaire d’une durée de dix minutes sur ses tableaux, réalisa en 1968 SWISS MADE, sujet portant sur la terre vue par un extraterrestre, pour lequel GIGER construisit le costume comportant un casque intégrant une caméra ainsi qu’un second pour son animal de compagnie interprété par un chien. MURER réalisera par la suite un autre documentaire sur les visions de GIGER, PASSAGES, avant de partir pour l’Angleterre et de se tourner vers la réalisation de drames réalistes.


Un chien stoïque sous l'harnachement de SWISS MADE.

 Les circonstances permirent ensuite à l’intérêt manifesté par Hans R. GIGER pour le cinéma de trouver des débouchés plus fastueux; sa notoriété internationale incontestable va lui être apportée par la conception d’un monde extraterrestre pour le film de science-fiction ALIEN.

LA CONSÉCRATION EN UN FILM

 A l’origine lointaine de la séquence d’évènements qui l’ont conduit à appliquer son art à cette importante production, se trouve la volonté du cinéaste chilien Alejandro JODOROWSKI d’adapter au cinéma le roman de science-fiction de Frank HERBERT, DUNE. A l’époque, il envisageait de confier le rôle de l’Empereur de l’univers connu à une personnalité excentrique, le peintre surréaliste espagnol Salvador DALI. Ce dernier, qui connaissait Hans GIGER par l’intermédiaire d’un autre peintre, Robert VENOSA, présenta aux représentants de la production venus à Cadaquès certaines œuvres du peintre suisse qui fut ainsi engagé comme artiste conceptuel en charge notamment d’imaginer l’architecture baroque et inquiétante de la planète gouvernée par le Baron Harkonnen alors censé être interprété par Orson WELLES. Le projet trop coûteux fut abandonné puis repris par le producteur Dino de LAURENTIIS qui prévoyait d’en confier la réalisation au metteur en scène britannique Ridley SCOTT, pour le compte duquel GIGER poursuivit son travail.


GIGER en compagnie du peintre DALI à Cadaquès, ephémère empereur galactique. Moissonneuse à épice pour le DUNE de JODOROWSKI imaginée en 1976 par H.R. GIGER; on notera le crâne allongée de l'effigie du baron Harkonnen qui couronne l'appareil, évoquant celui de d'autres de ses créatures, notamment celle de la toile Necronomicon IV, qui serviront de modèle pour la tête du monstre extraterrestre d'ALIEN.

 Alors que le film en était toujours à l’étape de développement, Ridley SCOTT s’intéressa à une autre entreprise, une histoire d’extraterrestre terrifiante imaginée par le scénariste Dan O’BANNON. Insatisfait des conceptions proposées pour concrétiser le monstre, Dan O’BANNON se souvint alors des peintures morbides de GIGER dont il était familier depuis la tentative d’adaptation de DUNE dont il était partie prenante en tant que créateur d'effets spéciaux et s’accorda avec Ridley SCOTT pour le recruter. Le peintre suisse aura la charge de concevoir tous les éléments extraterrestres du film, le planétoïde dont les rochers tourmentés sont basés sur des ossements, l’épave inconnue échouée à la silhouette étrange, aux formes courbes et à l’aspect organique, son pilote au corps ossifié, et les trois stades de développement du terrifiant passager clandestin qui décime l’équipe du Nostromo. Si le monstre adulte est pratiquement repris en l’état d’une toile préexistante, la première forme qui agrippe un explorateur trop aventureux pour ne plus le relâcher, le « face hugger », est passé par plusieurs révisions, d’abord un étrange animal aux longues pattes articulées et à la tête de dindon, puis le remplacement du corps par une sorte de ver annelé, la contamination de l’hôte se faisant non plus par la mâchoire en forme de tenaille mais par une sorte de trompe ventrale, enfin la quasi-disparition du corps lui-même, la créature étant réduite à une sorte de main osseuse dont les pattes apparaissent comme de longs doigts effilés, conservant la trompe ventrale inséminatrice. Initialement, la tête du monstre adulte devait être très morbide, GIGER ayant proposé que le squelette du crâne puisse être visible par transparence mais l’idée fut finalement abandonnée car le résultat ne fut pas jugé suffisamment satisfaisant.


Peinture de l'étrange épave extraterrestre. GIGER devant la dépouille de l'explorateur extraterrestre victime de l'Alien dans le studio Shepperton à Londres.


Conceptions de GIGER non retenues pour les deux premiers stades du monstre extraterrestre, le face-hugger ("agrippe-visage") qui infeste la victime et le chest-burster qui se fraye le passage depuis les entrailles de l'hôte, inspiré par une dinde plumée, avant qu'on demande à l'artiste d'imaginer une forme foetale annonçant davantage l'adulte.


Hans GIGER dans sa demeure en Suisse tenant la tête de son monstre iconique, dont le crâne devait initialement aparaître au travers d'une coque translucide.

 Les connotations sexuelles quant à elles ne sont pas nécessairement évidentes dans le film, bien qu’elles furent partie intégrante de l’élaboration de l’univers extraterrestre. Pour l’œuf contenant la forme infestante, GIGER avait basé l’ouverture sur la morphologie d’un sexe féminin. Afin d’éviter que ce caractère soit trop explicite, l’artiste a finalement démultiplié cette ouverture, de manière à ce qu’elle devienne cruciforme – l’épave conserve par contre trois orifices très organiques qui rappellent des ouvertures vaginales. Afin de rendre évident son caractère d’organisme inséminateur, l’artiste avait conféré au premier stade de l’extraterrestre deux énormes gonades, qui subsistent dans la version finale mais sous une forme édulcorée, des poches plus anodines. La tête effilée du monstre adulte lui conférant l’apparence profilée d’un dauphin provient d’une peinture préexistante dans laquelle le crâne oblong est explicitement calqué sur un sexe masculin avec sa partie oblongue terminale caractéristique venant coiffer l’arrière du crâne.

 La première partie d’ALIEN relative à l’exploration du vaisseau extraterrestre rend réellement justice à la vision de l’artiste, donnant une réalité tangible à ce monde radicalement différent du nôtre. GIGER se voit gratifié en 1980 d’un Oscar au même titre que les principaux responsables des effets spéciaux d’ALIEN. La réputation sulfureuse de l’artiste subsiste malgré cette consécration; le cadavre géant fossilisé du pilote extraterrestre vu dans le film est incendié par un fanatique religieux, alors même que la sculpture en tant que telle est pourtant exempte de connotation sexuelle ou antireligieuse.


Le cadavre momifié du pilote extraterrestre d'ALIEN sur lequel GIGER avait travaillé, présenté au Cinéma égyptien sur Hollywood Boulevard à Los Angeles pour la première du film, une pièce d'histoire photographiée peu avant que des malfaisants y mettent le feu.

DES RELATIONS OMBRAGEUSES AVEC LE 7EME ART

 Le peintre suisse continuait régulièrement d’œuvrer sur le développement de DUNE, définissant notamment l’aspect du Ver géant pourvoyeur de l’Epice sur Arrakis, lorsque Ridley SCOTT le prévint que le producteur Dino de LAURENTIIS, toujours insatisfait de l’évolution du projet, avait décidé de reprendre tout le processus avec sa fille Rafaëlla. Lassé devant la perspective toujours repoussée d’un tournage, Ridley SCOTT finit par se désengager du projet pour tourner BLADE RUNNER.


Un siège des Harkonnen, conçu en 1979 par GIGER et construit par Conny de FRIES, qui servit de modèle pour plusieurs bars, notamment à Gruyère en Suisse et à Tokyo au Japon. Un ver géant d'Arrakis peint par GIGER en 1979.

 Ayant conservé son intérêt pour l’entreprise, et admirateur du cinéaste David LYNCH choisi par les producteurs de DUNE pour mener à bien le monumental projet, avec une équipe renouvelée d’artistes conceptuels, Hans GIGER se montra désireux de travailler avec le nouveau réalisateur, mais ses demandes restèrent sans suite. On lui laissera finalement entendre que David LYNCH aurait conçu de l’animosité à son égard en estimant curieusement que le petit monstre qui s’extirpe du corps de Kane dans ALIEN, le « chest burster » qui représente la forme fœtale de l’extraterrestre adulte, était indûment inspiré du rejeton monstrueux qu’il avait créé lui-même pour son film ERASERHEAD.

 GIGER fut chargé de concevoir l’esthétique et les créatures du film THE TOURIST que devait réaliser Brian GIBSON, dans lequel diverses espèces extraterrestres bannies de leurs mondes respectifs sont soumises à des expériences dans un hôpital de New-York. Le projet n’aboutit pas, le studio Universal préférant investir financièrement dans un projet concurrent E.T. L’EXTRATERRESTRE (E.T. THE EXTRATERRESTRIAL).

 Après l’expérience malheureuse de THE TOURIST, Brian GIBSON fit de nouvel appel à GIGER lorsqu’il se vit confier la réalisation de POLTERGEIST 2, un second épisode dans lequel la famille Freeling est tourmentée par des forces occultes, cette fois sous la forme d’un révérend maudit. Cette fois, le projet est l’occasion pour l’artiste de faire primer l’inspiration morbide, avec corps déformés et visages décharnés, sur les penchants libidinaux, et GIGER réalisa de nombreuses toiles consacrées aux différentes incarnations de l’âme damnée, sous forme d’ectoplasme, de ver maléfique s’introduisant dans une bouteille de tequila pour posséder de l’intérieur le père de famille dont il convoite l’âme radieuse de sa fillette, puis la forme en mutation qu’il devient une fois recraché, l’aberration semi-anthropomorphe en laquelle il se change, puis la « grande Bête » dont la tête est ornée de tentacules rappelant la gorgone et le tronc composé des visages torturées des âmes qu’il a entraînées avec lui. Son goût pour l’irrévérence religieuse trouve à s’illustrer au travers de son ultime incarnation, la créature se mettant la tête en bas et se changeant en une sorte de crucifix renversé. Cette dernière vision n’est cependant pas illustrée dans le film, et la première apparition grotesque et satanique du monstre, « la Bête de fumée » au travers de l’évocation ésotérique du prologue par le chaman indien apparaît à l’écran sous une forme très édulcorée; ces deux écarts d’avec son travail, auxquels on peut ajouter une vision plus tourmentée du monde de l’au-delà, un vortex constitué d’un enchevêtrement de bras, absente du film, rendirent Hans GIGER marri du rendu de sa collaboration au film, d’autant plus que son sculpteur attitré Conny de FRIES qui avait réalisé les modèles des monstres à partir de ses peintures n'avait pas obtenu d’autorisation pour venir travailler aux Etats-Unis sur la production .


Pour l'incarnation de l'âme maudite sous forme de ver, GIGER avait d'abord imaginé ce ver à mi chemin de la sangsue et de l'Ankylostome (un Nématode ) avant de lui ajouter un oeil malveillant à la demande de la production (en bas).Expulsé par Steve Freeling, la créature surnaturelle se change en une abomination terrifiante par une métamorphose en temps réelle très bien restituée à l'écran par l'équipe des effets spéciaux.


Modèle de la Grande Bête, tête en bas, pour POLTERGEIST 2 sculpté par Conny de FRIES.


Conny de FRIES, à droite sur la photo, en discussion avec GIGER. La dernière phase de la métamorphose de la Grande Bête, absente du film, conçue par GIGER comme un mélange de crucifix renversé et de totem dont les faces grotesques représentent les visages des âmes damnées victimes du révérend Kane.


Le concept de la "Bête de fumée", l'entité spectrale telle que GIGER l'avait imaginée, dont le corps n'est pas sans évoquer celui d'un parasite, le Schistosome ou "douve du sang".

 L’artiste suisse s’avoua d’autant plus frustré qu’alors qu’il se consacrait à POLTERGEIST 2, il apprit qu’une suite d’ALIEN était en chantier et que son auteur, le réalisateur James CAMERON, avec le concours du créateur d’effets spéciaux Stan WINSTON, avaient souhaité se passer de ses services afin d’appliquer à la créature leurs propres concepts, notamment en concevant la Reine, une créature hexapode géante inspirée de celle existant chez les insectes sociaux. GIGER maugréa alors au sujet de POLTERGEIST 2 qu’il n’était « pas au travail sur le bon film ».

 Si GIGER conçut un démon pour le film japonais TOKYO, THE LAST METROPOLIS en 1988, nombre d’autres contributions au domaine du cinéma n’aboutirent pas. Il espérait la même année travailler de nouveau avec Ridley SCOTT sur DEAD RECKONING, renommé THE TRAIN, une histoire de train transportant des corps en animation suspendue dans lequel une créature humanoïde avec un cerveau modifié génétiquement semait la destruction. Malgré ses esquisses, le film ne vit pas le jour – même lorsque rebaptisé ultérieurement ISOBAR, une forme de vie végétale transgénique substituée au mutant, que devait affronter Sylvester STALLONE, fut construite en vain par Rick BAKER.

 Le metteur en scène de série B, William MALONE, qui avait mis en scène des créatures visiblement très inspirées d’ALIEN dans SCARED TO DEATH et sa suite SYNGENOR, ainsi que dans CREATURE (initialement nommé TITAN FIND), approcha GIGER en 1990 et le convainquit de s’investir dans des projets censés restituer fidèlement à l’écran son univers cauchemardesque. Dans THE MIRROR, un miroir triangulaire mène à un monde de créatures biomécaniques qui veulent féconder une femelle humaine. THE DEAD STAR devait plonger le spectateur dans un monde démoniaque où les morts sont ressuscités, sous la supervision d’un Satan doté de plusieurs faces et de gigantesques cornes. La modestie des budgets alloués à William MALONE laissait cependant entrevoir peu d’espoir que ces projets fort ambitieux puissent se concrétiser.


Peinture de GIGER du démon cornu, au-dessus d'un corps féminin ressuscité, qui devait apparaître dans DEAD STAR, et croquis de l'entité extraterrestre biomécanique rendant la vie aux disparus.

Par ailleurs, GIGER ne parvint pas à intéresser à un projet assez déconcertant, THE MYSTERY OF SAN GOTARDO. Il était question d’une organisation militaire ayant créé par manipulations génétiques sous le tunnel du Saint Gottard une armée de soldats réduits à un bras et une jambe; un homme devait devenir amoureux d’un de ces êtres réduits à la portion congrue, qui avait développé une forme de conscience.

NOUVELLES ATTENTES ET NOUVELLES DÉSILLUSIONS

 Tout en poursuivant sa carrière au gré des créations artistiques diverses et des expositions, l’artiste n’avait en dépit de ses déconvenues pas perdu tout attrait pour le domaine cinématographique. Evincé d’ALIENS, Hans GIGER pensa l’heure de sa revanche venue lorsqu’il fut engagé sur la seconde suite en 1992. Le plasticien aspirait à renouveler le concept de sa créature pour ALIEN 3. Le scénario original qui imaginait que durant la phase d’incubation, la créature s’imprègne de certaines caractéristiques de son hôte, de telle sorte que la forme adulte présente une forme quelque peu hybride, poussa à envisager que l’Alien issu d’un animal adopte la posture quadrupède – quelques essais furent d’ailleurs réalisés par l’équipe des effets spéciaux d’Alec GILLLIS et Tom WOODRUFF sur des chiens, comme une lointaine réminiscence de SWISS MADE. Durant plus d’un mois, encouragé par l’assurance du metteur en scène David FINCHER que seuls des modèles robotisés, et non un figurant costumé, auraient la tâche de la représenter, GIGER conçut une créature élégante, d’allure féline, dotée de longues jambes. Il se montra désireux d’en livrer une conception féminisée, en lui prêtant des lèvres charnues féminines, afin que celle-ci délivre réellement « le baiser qui tue ». Il voulait aussi changer la mâchoire intérieure protractile en une langue bordée d’épines tranchantes. Enfin, après avoir tenté de justifier la présence des tubes dorsaux - originellement ajoutés pour s’écarter de la morphologie humaine - comme équilibrant la longue tête, le peintre fit connaître sa préférence pour leur suppression. Si sur ce point il sera entendu par les créateurs d’effets spéciaux d’Amalgamated Dynamics, David FINCHER choisit finalement pour l’essentiel la cohérence, la créature, en dépit de sa vélocité, restant proche de ses incarnations précédentes au cinéma, ce qui donna à nouveau à GIGER l’occasion de déplorer qu’on n’ait pas pris en compte ses différentes ébauches.


Face hugger royal dessiné par GIGER.


 Version quadrupède du chest burster pour ALIEN 3 surnommée "Bambi alien", très différente de celui du premier film dont les membres n'étaient pas encore développés.Maquette de l'Alien quadrupède de GIGER.

 En 1994, GIGER reçut la mission de dessiner la voiture du super héros pour BATMAN FOREVER, lui donnant une forme de chromosome; trop audacieux sans doute, le concept ne sera pas utilisé.

 Avec LA MUTANTE (SPECIES), GIGER entrevit une nouvelle opportunité de porter à l’écran une de ses créations féminines biomécaniques fantasmatiques, au travers de l’histoire de cette créature issue d’un zygote humain mêlé avec de l’A.D.N. extraterrestre, capable de changer soudain son apparence en une forme effrayante. Steve JOHNSON qui supervisait les effets spéciaux de maquillage pour la compagnie Boss film de Richard EDLUND, appréhendait les contacts avec GIGER, ayant déjà occupé la même fonction au temps de POLTERGEIST 2, et se rappelant les récriminations de l’artiste suisse. Aussi demandait-il à ses collaborateurs de filtrer les appels, ne consentant à recueillir que de temps à autre les longues doléances du concepteur visuel depuis la Suisse.


 Une rencontre entre l'artiste suisse et le créateur d'effet spéciaux Steve JOHNSON ( à gauche), que GIGER est venu visiter sur le tournage du film ANACONDA.

La créature la plus originale du film, celle apparaissant dans le laboratoire qui est composée à 100% d’A.D.N. extraterrestre, n’a cependant pas été conçue par GIGER mais imaginée entièrement par Steve JOHNSON lui-même, s’ingéniant avec succès à lui appliquer une apparence cohérente avec le style biomécanique de l’artiste.

 Les sentiments de GIGER sur le rendu de sa création furent mitigés. Il se montra particulièrement satisfait de la version mécanique translucide de la mutante Sil portant à sa bouche l’extrémité extensible d’un mamelon. La première étape de la métamorphose de la jeune Sil en femme adulte lui déplut par contre ; au lieu des vers sortant de la peau de la jeune fille, qu’il avait même sculptés en silicone et envoyés à Hollywood, l’équipe des effets spéciaux préféra des tentacules créés par ordinateur à la place. Une fois les extensions réunies, celles-ci constituent un cocon, réalisé par l’équipe de Steve JOHNSON à l’aide de sachets plastiques chauffés et soudés, lequel eut davantage son assentiment. La conception d’images par ordinateur fut aussi utilisée pour représenter Sil pour certains plans, ainsi que pour donner vie à son rejeton, ce que GIGER désapprouva fortement, estimant à juste titre que ce procédé faisait perdre beaucoup en réalisme et qu’on aurait très bien pu utiliser les costumes et les versions mécaniques pour réaliser les scènes – il faut dire qu’à l’époque Steve JOHNSON était le premier maquilleur à se montrer séduit par les effets spéciaux engendrés informatiquement, avant de devenir par la suite l’un de ses plus grands détracteurs, proclamant sur son site « rubber rules » ( « il n’y a pas mieux que le caoutchouc-latex» ).

 GIGER décela dans LA MUTANTE la possibilité de conférer son ampleur maximale à sa vision d’un train infernal, dont la forme de chaque wagon était basée sur un crâne gigantesque, dont il avait déjà réalisé une version dans sa propriété, et qu’il avait en tête lorsqu’il œuvrait sur le projet de Ridley SCOTT non concrétisé, THE TRAIN. Dans LA MUTANTE, ce véhicule surréaliste apparaît dans des cauchemars de Sil renvoyant à une mémoire génétique. GIGER se consacra à la construction du train et du décor à Zurich, en Suisse, mais le film n’en conserve à son grand regret qu’un bref plan.

 Également échaudé par une rétribution financière qu’il estimait ne pas correspondre à ce qu’il lui était dû, ainsi que par l’absence de son nom sur la brochure présentant l’équipe du film lorsque celui-la fut projeté au Festival de Deauville, GIGER déclara amer qu’il ne voudrait plus rien avoir à faire avec une éventuelle suite du film à moins qu’on ne lui proposât de renouveler complètement le concept. Il se retrouva ainsi engagé pour imaginer une version masculine du monstre pour LA MUTANTE 2 (SPECIES 2). Encore une fois, cependant, il se montra déçu par le résultat bien que l’équipe de Steve JOHNSON ne ménagea pas ses efforts pour animer la marionnette géante translucide représentant la créature quadrupède surdimensionnée qui rappelle le sphinx légendaire.


GIGER au travail sur LA MUTANTE 2.

 Le peintre suisse s’était quelque peu tenu éloigné du cinéma durant ces dernières années. Il eut cependant récemment le plaisir de rencontrer de nouveau Ridley SCOTT, qui le consulta pour la préparation de PROMETHEUS, le film conçu comme une préquelle d’ALIEN pour lequel l’artiste fit quelques esquisses. Il se montra touché que le réalisateur reconnaisse l’importance de son approche esthétique dans la création de l’univers bâti autour d’ALIEN.


Hans GIGER retrouve Ridley SCOTT discutant des concepts artistiques de PROMETHEUS.


Deux dessins de la dernière collaboration de GIGER au cinéma, sur le film PROMETHEUS : la créature vermiforme "hammerpede" et le foetus mutant.

GIGER a imposé son style biomécanique dans les différents arts. Au cinéma, son travail sur ALIEN a suscité bien des émules à commencer par les films de William MALONE. Le guerrier du futur de SCARED TO DEATH et SYNGENOR est très proche de l’Alien, de même que l’extraterrestre de CREATURE. Celui de DARK UNIVERSE n’est pas en reste. Le monstre adulte de MUTANT (FORBIDDEN WORLD) évoque un peu une synthèse d’Alien avec sa gueule dentée sombre et ses pattes articulées qui sont analogues à celles du face hugger du film de Ridley SCOTT. Quand aux créatures de L’INVASION DES COCONS (DEEP SPACE), leur évolution n’est pas sans évoquer certains éléments des phases imaginées par GIGER, avec les nouveaux nés aux nombreuses pattes articulées, et l’adulte à la peau anthracite, à l’énorme gueule carnassière et au crâne allongé. La pyramide de LA GALAXIE DE LA TERREUR évoque celle d’ALIEN (même si elle renvoie davantage à celle dessinée par Chris FOSS qu’à celle plus ovoïde peinte par GIGER). Des vaisseaux spatiaux organiques apparaissent quant à eux dans des films comme LIFEFORCE, L’INVASION VIENT DE MARS (INVADERS FROM MARS) et BUCKAROO BANZAI. Il n’est pas jusqu’au pistolet apparu au travers même de la chair sur la main de Max Renn (James WOODS) dans VIDEODROME de CRONENBERG qui n’évoque pas l’esthétique biomécanique de GIGER, déclinée par la suite dans des productions extrême-orientales comme le film japonais TETSUO. L’art de GIGER était apprécié au Japon, et il y fit construire les décors de plusieurs bars. L’un d’eux accueillait les fauteuils des Harkonnen créés pour la tentative d’adaptation de DUNE par Ridley SCOTT ; il fut finalement fermé après que la mafia japonaise en eut fait un de ses lieux de rendez-vous privilégiés, illustrant ainsi que l’univers de GIGER était toujours sulfureux...

 Considéré comme amical en privé, plutôt réservé en public, GIGER a aussi laissé l’image d’un artiste exigeant, difficile à satisfaire car très attaché à une parfaite restitution de son art notamment au cinéma, ce qui amena Steve JOHNSON a lui rendre un hommage pour le moins ambigu, tant son admiration se mêlait au souvenir de la tension latente de leurs collaborations professionnelles. GIGER sera en tout cas parvenu à ce que son œuvre soit reconnue et respectée aussi bien dans le monde des galeries d’art que dans celui du cinéma fantastique hollywoodien, et il demeurera encore longtemps à n’en point douter une référence.

site officiels : 

http://www.hrgiger.com/

https://giger.com/gigerframeset.php

Jean-François Berreville

Le blog de Jean-François Berreville creatures-imagination.blogspot.com

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